Comment se structure le travail informatique ?

Les outils informatiques développés dans Tip-Top avec l’objectif d’analyser les transferts d’eau sont organisés autour de trois étapes de travail :

La première étape correspond à la collecte de différentes informations et traitement géographiques sous système d’information géographique (logiciel Qgis). Cette phase de travail est automatisée et a d’abord pour but d’extraire les données météorologiques dans la base nationale de données SAFRAN. On traite ensuite des images satellites, des informations sur la topographie, l’occupation agricole des territoires et les surfaces « non productives », tels que les haies, espaces boisés qui structurent et organisent le paysage. Toutes ces données sont rassemblées et organisées pour leur traitement ultérieur par les modules de calcul d’écoulement d’eau.

La seconde étape correspond aux calculs des différents types d’écoulements proprement dits. Ces calculs sont réalisés grâce aux cartes et données précédentes. Ils sont organisés pour évaluer, pour chaque point de l’espace, les valeurs de l’écoulement des nappes, des transferts latéraux, du ruissellement, soit par excès de saturation des sols, soit par leur imperméabilisation (urbanisation ou battance). A l’issue de cette étape, on dispose pour chaque type d’écoulement de cartes relatives aux directions et aux vitesses de déplacement de l’eau.

La troisième étape a pour but d’évaluer les liens existant entre paysage, écoulements et vitesse d’eau. On peut ainsi ajouter virtuellement des infrastructures non productives ou dégrader des paysages, reconfigurer les espaces et faire tourner les modules d’écoulement. Chaque scénario est analysé en évaluant la rapidité avec laquelle des traceurs numériques (mimant le comportement de nutriments ou de polluants) sont évacués vers l’exutoire des bassins versants.

 

 

 

 

 

Dans l’exemple ci-dessus, deux paysages sont confrontés. Le premier (orange) correspond a un bocage dégradé ; le second (vert) présente une densité de haie plus élevée. Les courbes du graphe qui suit donnent la quantité d’un traceur transmis à l’exutoire (ici il s’agit d’un composé inerte et soluble, véhiculé en profondeur et circulant librement dans le sous sol, sans être retenu dans son parcours par les sols). On constate que, dans le bocage encore en état où l’eau circule plus lentement (courbe verte) du fait de l’absorption par les racines, le traceur arrive plus tardivement à l’exutoire. Le paysage agit comme un régulateur : c’est cette fonction de régulation que nous cherchons à documenter avec les outils Tip-Top.

Quelle est la nature de ces transferts ?

Hormis l’évapotranspiration qui stocke une fraction de l’eau pluviale dans la biomasse et en restitue une partie vers l’atmosphère, trois types d’écoulements peuvent être distingués, différents de par leur intensité, les délais de restitution et les modalités de contrôle.

  • Les « migrations profondes » de l’eau résultent du fonctionnement des nappes et en particulier des modalités de leur abattement, fonction de la proximité et du débit des rivières.
  • Les « écoulements latéraux » correspondent à des migrations d’eau le long des pentes et sont plutôt situés dans les couches peu profondes des sols (écoulements hypodermiques).
  • Le « ruissellement » se traduit par de l’eau qui circule à la surface des sols lorsqu’ils sont imperméabilisés et refusent les pluies (soit du fait de l’urbanisation, soit du fait de la battance des sols, cette croute de surface de faible perméabilité) ou encore lorsque les sols ne peuvent stocker toute l’eau qu’ils reçoivent (provenant des apports pluvieux et arrivées d’écoulements latéraux amont).

Selon les territoires d’étude du programme Tip-Top, durant les périodes de crue, la part de ces écoulements est très différente :

Les territoires d’analyse Erreur du modèle Ecoulements des nappes Ecoulements latéraux Ruissellement par défaut de stockage Ruissellement urbain Ruissellement lié à la battance
Aiguebelette 20% 0.40 <0.001 0.001 0.58 0.001
Méaudres 30% 0.01 0.02 0.84 0.15 <0.001
Miribel 10% 0.03 <0.001 0.005 0.12 0.84

Ce tableau donne des résultats de modélisation TIP TOP, avec la part des différents types d’écoulement L’environnement filtrant d’Aiguebelette contribue à une migration profonde de l’eau qui alimente les nappes. C’est l’inverse dans le Vercors, à Méaudres, où les sols imperméables en profondeur s’engorgent et favorisent rapidement le ruissellement. Enfin sur Miribel, la pluie ne s’infiltre pas du fait de la battance du sol et une grande quantité d’eau ruisselle.

L’intérêt de modéliser les transferts d’eau

Il s’agit de caractériser la façon dont l’eau s’écoule dans les territoires, de la pluie sur les sols jusqu’à l’écoulement dans les rivières et l’exutoire du bassin versant. Les paysages sont déterminants sur le parcours de l’eau pluviale. En fonction des propriétés des sols, ils contrôlent la topographie, déterminent la nature et la distribution des végétaux, un ensemble de processus impliqués dans le bilan et le parcours de l’eau.

Dans le programme Tip-Top, la modélisation du transfert d’eau a pour objectif d’évaluer les stockages et les flux d’eau en caractérisant la « fonction de transfert du paysage », c’est-à-dire la façon dont le paysage restitue à l’exutoire et au cours du temps les quantités d’eau pluviales qu’il reçoit. Cette fonction de transfert est caractéristique de l’occupation des sols d’un territoire et de l’organisation de son paysage.

La fabrique du paysage selon le système d’exploitation

Afin d’atteindre leur objectif de production, les éleveurs vont choisir le système fourrager qui leur paraît pouvoir y répondre en adéquation avec le potentiel de leur exploitation. La répartition des pratiques (pâture, fauche de prairies, cultures fourragères…) entre leurs surfaces se fait ensuite, la plupart du temps, en fonction du potentiel de chaque parcelle (labourable, fauchable, uniquement pâturable, humide, séchante…), mais aussi de leur proximité du siège d’exploitation. C’est ainsi que les parcelles les plus proches et de meilleur potentiel sont affectées en priorité au pâturage du troupeau de production, tandis que les plus éloignées et les plus pentues sont valorisées par les animaux ayant moins de besoins immédiats (par exemple les jeunes de renouvellement).

Les cultivateurs recherchent bien évidemment une activité rémunératrice eux aussi, avec des choix de productions et de systèmes culturaux décidés selon leurs débouchés commerciaux, la taille de leur exploitation et leur capacité en main d’œuvre. Au-delà, ils répartissent leurs pratiques culturales essentiellement selon l’éloignement, réservant les surfaces les plus proches aux cultures nécessitant des interventions fréquentes, et le potentiel agronomique des parcelles.

Un exemple de répartition des ressources en système d’élevage

Pour construire le modèle, nous établissons des règles à partir d’enquêtes individuelles, les hypothèses et analyses étant enrichies par les membres des groupes de savoirs mis en place pour le besoin.

 

 


 Les règles de décisions en système de grandes cultures

Les successions de cultures annuelles répondent au besoin d’optimiser les ressources fournies par le sol, le climat et, lorsqu’elle est disponible, l’eau d’irrigation. L’enchaînement des cultures dans une rotation type suit une logique de nature à la fois agronomique et économique.

Le raisonnement agronomique pousse à diversifier et allonger la rotation de culture pour bénéficier d’effets cumulatifs intéressants sur la fertilité du sol, et sur une moindre exposition aux bio-agresseurs (adventices, maladies et ravageurs). La conduite des cultures et les interventions techniques seront également adaptées. Un raisonnement guidé par une optimisation économique pousse au contraire à limiter la diversité de la rotation en augmentant la fréquence des cultures à forte valeur ajoutée, assurant une rentabilité supérieure du système. Un compromis entre effets agronomiques et rentabilité économique est recherché. Il se traduit généralement par plusieurs types de rotation sur la même exploitation avec, chaque année, une proportion quasi stable des cultures à forte valeur ajoutée dans l’assolement, assurant ainsi la viabilité économique du système de production.

Des règles économiques
Dans les exploitations agricoles, les surfaces de culture sont affectées aux parcelles en adoptant des règles de priorité suivant l’importance économique des cultures dans le système de production. Par exemple, les systèmes spécialisés sur les grandes cultures, avec un assolement à dominante maïs irrigué (en partie ou totalité), vont faire en sorte d’assurer une surface de maïs stable chaque année.

Des règles agronomiques
Lorsque la proportion de culture(s) à fort enjeu économique est atteinte dans l’assolement annuel, on peut placer les autres cultures en faisant en sorte de respecter au mieux des successions intéressantes sur le plan agronomique, évitant ainsi les monocultures plutôt défavorables. Des exceptions sur les cultures à forte valeur ajoutée comme pour le maïs irrigué voire les céréales d’hiver (blé, orge).

Des règles géographiques
La localisation géographique des parcelles par rapport aux bâtiments de l’exploitation peut aussi être un facteur décisionnel important. Les systèmes spécialisés sur les légumes frais vont raisonner à la fois sur la proportion de culture légumière dans l’assolement annuel et sur la localisation des légumes frais à proximité des bâtiments pour faciliter la conduite de ces cultures qui demandent beaucoup d’interventions. Cela peut être le cas mais dans une moindre mesure pour les parcelles en systèmes de grandes culture irriguées de printemps (maïs, soja…) pour gérer l’irrigation.

 

Des règles à la fabrique du paysage

Traduire ces règles dans un outil, avec comme enjeu la qualité de l’eau défini par un bassin versant, s’appuie sur deux étapes : la définition des principaux types de systèmes de culture puis la distribution des cultures dans les parcelles annuellement en suivant les règles.

La première étape se traduit par :

  • la répartition des cultures dans la surface agricole utile des exploitations et l’identification des cultures prioritaires,
  • la description des rotations types de cultures et des dates moyennes d’interventions techniques (travail du sol, intercultures…),
  • l’obtention des données nécessaires : enquêtes auprès des exploitants, conseillers techniques, registres parcellaires graphiques.

La seconde étape nécessite d’affecter une succession type de cultures à chaque parcelle de chaque exploitation avec deux variables de contrôle :

  • l’assolement annuel des cultures prioritaires économiquement doit rester stable dans la SAU annuelle de chaque exploitation ;
  • les cultures maraichères doivent être affectées à des parcelles situées à moins d’un kilomètre des bâtiments d’exploitation.

 

Pourquoi s’intéresse-t-on à la fabrique du paysage ?

Un paysage agricole est, par nature, très hétérogène. Quelle en est la raison ? Un maillage de parcelles cultivées qui supporte une diversité d’assolements et de conduites culturales évoluant chaque année. S’ajoutent à cela les éléments pérennes du paysage tels que les zones enherbées, des haies, des bosquets… qui se trouvent souvent en bordure de parcelles. Cette variation paysagère, tant dans l’espace que dans le temps, modifie la dynamique des polluants que l’eau transporte à travers le bassin versant (sédiments, nutriments…) :

  • modification des zones sources d’émissions de ces polluants,
  • modification de la dynamique de leur transfert : accélération ou, au contraire, effet tampon lié à des zones de fixation des particules.

La fabrique du paysage permet donc de décrire et d’analyser ces changements pour comprendre in fine comment l’hétérogénéité du paysage affecte la dynamique des polluants. L’objectif final est de construire un outil d’évaluation pour proposer une hétérogénéité paysagère plus favorable à la qualité de l’eau.

Le raisonnement des agriculteurs, basé sur des contraintes biophysiques et économiques, est ici un enjeu majeur car les décisions qui en résultent sont à l’origine de la mosaïque de cultures qui structure le paysage. Celle-ci n’est pas issue d’un processus aléatoire. Il est donc essentiel de caractériser les principaux déterminants du raisonnement des agriculteurs.

L’organisation d’un paysage selon le relief : l’exemple des monts et coteaux du Lyonnais.

Peut-on modéliser la fabrique d’un paysage agricole ?

Il y a beaucoup de manières de voir un paysage et deux nous intéressent particulièrement. Tout d’abord, à travers les relations dont il est la résultante : entre des sociétés humaines et leurs milieux biophysiques. Chercher à comprendre son état et ses dynamiques peut donc nous permettre de mieux comprendre les pratiques humaines, leurs effets sur les milieux et les contraintes de ce milieu. Mais le paysage, c’est aussi un espace de vie commun et perceptible par de grandes diversités d’acteurs. Il devient alors médiateur entre personnes mais également un lieu et l’objet d’échanges de points de vues, de savoirs et de ressentis.

 

La fabrique du paysage, résultat d’intentions

La notion de « fabrique du paysage » est à la fois une résultante et une médiation. Elle est la somme d’intentions d’acteurs, non pas nécessairement de faire un paysage particulier, mais d’actes, de pratiques, de décisions, implicites ou explicites, qui prennent en compte les composantes du paysage, comme le contexte pédo-climatique, et auront une incidence et des conséquences paysagères.

Chercher à modéliser les processus de fabrique du paysage revient alors à modéliser les processus de décisions et d’intentions des acteurs et habitants du paysage dans leurs activités. Concernant plus particulièrement l’agriculture, les orientations technico-économiques des exploitations et les décisions stratégiques à moyen terme sont liées au contexte pédo-climatique et aux contraintes du milieu, c’est une évidence. Sur le Plateau de Miribel, les surfaces peu accidentées et de bonne valeur agronomique favorisent la mise en place de cultures végétales, tandis que les collines du bassin d’Aiguebelette sont plus propices à l’élevage.